|
Johnny
Hallyday estime payer beaucoup trop d'impôts. Mais pour qui a eu à
connaître sur le plan professionnel des pratiques de l'"idole des
jeunes", le devoir est de rappeler que les qualités du chanteur sont
aussi celles d'un homme d'affaires avisé. Tout particulièrement, Johnny
Hallyday, qui n'aime pas payer beaucoup d'impôts, oublie un peu vite
les cadeaux qu'il a reçus à partir de fonds publics en France.
Le plus bel
exemple, mais ce n'est pas le seul, est le cadeau que les collectivités
territoriales ont fait au chanteur pour ses 60 ans.
Rappelons-nous
: rien n'était trop beau pour la "tournée des stades". Johnny a ainsi
chanté en 2003 dans vingt-trois des plus beaux stades de football, dont
vingt et un en France : sait-on qu'il a reçu, pour ce faire, plus de 7
millions d'euros payés, d'une manière ou d'une autre, par le
contribuable de chacune des villes traversées ?
Le procédé était
simple. Son producteur démarchait les villes disposant d'un grand stade
de football et leur indiquait que, si elles souhaitaient bénéficier de
la présence de Johnny Hallyday, il leur fallait participer
financièrement, à l'instar de ce que doivent consentir les villes
lorsqu'elles veulent s'assurer d'une étape du Tour de France. Seulement
voilà, lorsque le Tour fait étape, le spectacle est gratuit, lorsque
Johnny Hallyday vient chanter, on paye ! Il fallait donc trouver des
motivations au versement des sommes demandées par le producteur sous
peine de voir le rockeur chanter dans d'autres stades...
Dans le
silence et dans certains cas, les largesses publiques s'appuyaient
implicitement sur la loi de 1999 sur les spectacles vivants. Que dit
cette loi ? Que "les entreprises de spectacle vivant peuvent être subventionnées par les collectivités territoriales".
Cela concernait-il tous les spectacles, y compris celui du chanteur le
plus populaire et dont le succès est avéré ? L'imprécision de la loi a
permis la confusion et le permet toujours puisqu'elle définit le
spectacle vivant comme "la représentation en public d'une oeuvre de
l'esprit s'assurant de la présence physique d'au moins un artiste du
spectacle percevant une rémunération". En apparence, un chanteur comme Johnny semblait concerné.
Mais
c'était oublier la volonté clairement exprimée par le législateur, qui
entendait ouvrir la possibilité de subventionner uniquement "des
spectacles qui paraissent plus particulièrement dignes d'encouragement
et, notamment, ceux qui ont pour objet principal l'éducation artistique", et ce pour "renforcer les droits des salariés du spectacle et la lutte contre la précarité de leur situation", selon les termes utilisés devant le Sénat par Catherine Tasca, alors ministre de la culture.
Les
spectacles de Johnny Hallyday ne pouvaient entrer dans cette
possibilité de subventionnement, et certains artistes de spectacles
vivants, eux-mêmes intermittents du spectacle et ne disposant pas de
subventions, s'en étaient émus, à Bordeaux, jusqu'à porter l'affaire
devant le tribunal administratif, en septembre 2003. Mais le jugement
au fond fut évité, car Alain Juppé, maire, décida de retirer
précipitamment la délibération octroyant la subvention au chanteur.
Dans d'autres villes, pour éviter pareille mésaventure, la demande de subvention fut complétée : il s'agissait "de permettre un accès plus équitable à l'éducation, à la culture et aux loisirs"
(délibération de la ville de Nancy du 15 novembre 2002). Tirant les
leçons de l'émotion suscitée à Bordeaux et de la position en retrait
prise consécutivement par le conseil municipal de Strasbourg, la
motivation devenait même à Nancy très sociale puisque des places
étaient subventionnées pour permettre "aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion, de l'allocation adultes handicapés, des CES et autres" d'assister au concert. L'intention pouvait paraître louable, mais elle sonnait faux.
En
effet, par un curieux hasard, les calculs à propos des catégories
défavorisées concernées aboutissaient dans chaque ville à ce que la
collectivité territoriale verse le même montant de subvention, soit
environ 220 000 euros. Ainsi, il y avait le même nombre de défavorisés
dans toutes les villes traversées et quelle que soit la contenance du
stade ! Et cette subvention devait être versée en une seule fois,
plusieurs mois avant le concert, sans savoir si le nombre de
bénéficiaires était en définitive bien celui annoncé dans la
délibération initiale... De là à penser que cette subvention venait
couvrir les besoins de trésorerie nécessaires à la préparation des
concerts, certains, en privé, franchissaient le pas.
A cela
s'ajoutait, sans que les considérations sociales l'imposent, la mise à
disposition gratuite du stade, l'installation des équipements destinés
à protéger la pelouse et parfois la remise en état par la ville après
le concert. Bien plus, les panneaux publicitaires à l'intérieur des
stades étaient également cédés à titre gratuit pour permettre leur
exploitation libre pendant toute la durée du concert.
A
l'évidence, les coûts supportés par les villes et le manque à gagner de
ces différentes mises à disposition gratuites venaient renchérir la
subvention généreusement attribuée à Johnny Hallyday, qui peut être
aisément chiffrée, sommes versées et dépenses prises en charge, à près
de 400 000 euros par stade, le tout à la charge des contribuables
locaux.
Le chanteur en avait-il besoin pour équilibrer ses
dépenses ? On peut en douter, car, pour cette seule tournée des grands
stades, et selon la presse, les concerts ont rapporté 30 millions
d'euros, le chanteur empochant 80 % des bénéfices. Ce n'était pas la
première fois que Johnny Hallyday se faisait ainsi financer une partie
de ses concerts avec de l'argent public. Ce ne fut peut-être pas la
dernière non plus...
Alors, au moment où il décide de s'expatrier
en Suisse, il serait peut-être utile que les collectivités lui
rappellent ce qu'elles lui ont généreusement versé sur des fonds
publics. Bref, il serait peut-être utile, sans le condamner, de le
sensibiliser au fait que la France lui a beaucoup donné, et qu'il peut
lui rendre un peu. Et nous lui pardonnerons peut-être.
Bruno
Kern, avocat à la cour et ancien directeur de cabinet du secrétaire
d'Etat aux affaires sociales et à l'intégration, Kofi Yamgnane |