Point de vue sur les agro-carburant : le mirage de "l'or vert"
Or
vert, agro ressources, biocarburant : carburants, plastiques, matériaux
de construction seront tous renouvelables et biodégradables nous dit
on. Nous sommes à l’aube de ce monde durable que décrivent toutes les
interventions des hommes publics : politiques, scientifiques, décideurs
et chefs d’entreprises.
L’espoir suscité est réel, mais il paraît nécessaire de relativiser ces propos.
Cet avenir est en effet tributaire d’une agriculture durable. À ce
sujet, le premier objectif de l’agriculture est alimentaire. Si dans
les pays développés nous produisons plus que nous ne consommons, ce
n’est pas le cas partout, et certains géants démographiques seront
aussi de gros consommateurs de ressources pour nourrir leur population.
Le développement des agro ressources dépend donc de la différence entre
la production et la consommation alimentaire. Il dépend aussi du
potentiel agricole aujourd’hui et demain, et là, les inquiétudes sont
grandes. Une agriculture durable dépend de cinq facteurs essentiels :
le sol, le climat, la biodiversité, les semences et les hommes, sans
eux, rien n’est envisageable.
Le sol, formé à l’échelle géologique, disparaît à une vitesse aussi
rapide qu’il lui a fallu de temps pour s’accumuler. La boulimie
d’espace pour les infrastructures est énorme et ce sont les plaines les
plus fertiles qui sont les premières concernées. En montagne par
exemple, ce sont les vallées qui supportent les servitudes.
En outre, l’élévation prévue du niveau de la mer contribuera à la
disparition des terres fertiles et à leur érosion ainsi qu’à des
mouvements de population qui grignoteront encore l’espace productif.
Une autre inquiétude est liée à l’érosion consécutive à
l’agrandissement de la taille des parcelles et la disparition d’un
couvert pérenne qui protège le sol. C’est aussi l’appauvrissement en
humus qui déstructure les sols et aggrave les effets hydrauliques et
éoliens. Les pays tropicaux sont très concernés, mais la France l’est
aussi.
Le climat va changer à court terme, c’est une certitude. Ce sera un
réchauffement global qui pourra se traduire par des hivers plus froids
et des étés plus chauds qui occasionneront des pertes de rendement.
Mais l’agriculture intensive est elle-même grosse consommatrice
d’énergie fossile et donc pourvoyeuse de gaz à effet de serre.
Rien qu’en engrais, pour récolter quelques tonnes de blé, betteraves,
colza ou maïs, il faut plus de 600 litres de pétrole par hectare et par
an. En outre le recours aux pratiques intensives consomme de l’humus
plus qu’il n’en produit et contribue encore à l’effet de serre en
déstockant du carbone.
La biodiversité se réduit à un rythme encore jamais vu dans l’histoire
de notre planète. Même la fameuse disparition des dinosaures s’est
déroulée sur une échelle de temps incomparablement plus longue. Or,
l’équilibre écologique des agro systèmes est absolument tributaire de
la biodiversité et de la capacité des espèces à se réguler et régénérer
les cycles de l’eau, de l’air, du carbone, de l’azote.
Sans parler de la pollinisation entomophile et de la prédation des
ravageurs. Ce sont 100 000 tonnes de pesticides qui sont déversés tous
les ans en France afin de produire plus en influençant les agro
systèmes mais aussi en déstabilisant les équilibres biologiques dans
une fuite en avant.
Les semences seront génétiquement modifiées, bien sûr. Cela permettra
de gagner du temps donc de l’argent. Tel industriel souhaitera une
molécule et la plante lui fournira dans les mois qui suivent. Nul
problème qui n’ait sa solution dans l’éprouvette. Mais quelle
vulnérabilité de confier nos intérêts fondamentaux à un petit groupe de
financiers qui acquérront ainsi un pouvoir démesuré !
D’autre part, sans refaire le débat sur les OGM, les systèmes agraires
seront bouleversés sans que nous en mesurions les conséquences durables.
Enfin, les hommes, leur technicité, leur répartition sur le territoire,
leur nombre seront indispensables pour adapter les systèmes aux
changements climatiques mais aussi sociaux qui s’annoncent. Or, à
travers le monde, l’exode rural est massif, la perte des savoirs
autochtones est immense et c’est la capacité à vivre en harmonie avec
les territoires qui disparaît tous les jours avec cette uniformisation
que les semences mondialisées contribuent à développer.
À l’analyse brève de ces cinq facteurs, nous devons constater qu’ils se
dégradent tous dans des proportions jamais recensées. L’agriculture
durable, absolument nécessaire aux agro ressources, aux quatre coins de
la planète, est un vœu pieux qui perd du terrain chaque jour.
Ainsi, en France, la réforme de la PAC est elle une occasion manquée
pour atteindre cet objectif. Un système universel et très efficace
d’agriculture voit sa disparition accélérée par la conditionnalité des
aides. Les contraintes imposées aux éleveurs, et tout particulièrement
aux plus petits élevages, vont les amener à abandonner cette activité.
Pourtant le système polyculture-élevage est efficace et sobre grâce aux
synergies que les animaux apportent aux plantes et au sol avec les
prairies et les fumiers qui profitent aux plantes dont les
sous-produits sont valorisés avec les pailles et les déchets de triage.
La réforme qui impose des investissements et une réglementation
contraignante pour les éleveurs va dissuader les plus petits d’entre
eux de continuer cette activité. Les systèmes vont se spécialiser
encore plus et les problèmes s’accroître. Il faudra encore plus
d’investissement et de produits chimiques pour les résoudre et il
faudra encore plus de capitaux ce qui contribuera à détruire
l’agriculture paysanne et les hommes qui la pratiquent. Cette
agriculture sera plus fragile aux fluctuations car moins autonome. Le
cercle vicieux va amplifier les effets négatifs.
De même, l’arrivée des carburants verts issus du blé et autres cultures
est-elle le choix des agro managers contre l’agriculture paysanne. Il
va falloir augmenter les rendements, agrandir les parcelles,
restructurer les exploitations, détruire les sols, la biodiversité, les
hommes pour vendre des semences, des engrais, des camions et des
tracteurs. Car il n’y a pas de plus value dans cette production mais
juste un débouché pour un produit déjà beaucoup moins cher au Brésil et
qui ne sera jamais compétitif : l’éthanol.
Je n’entends nulle part évoquer des pistes pourtant prometteuses comme
l’agroforesterie qui associe culture pérenne et annuelle dont les
aménités sont bien meilleures sur les cinq points clé de l’agriculture
durable mais dont le gros défaut est une remise en cause du
productivisme, et de certains stéréotypes de développement.
Alors, ne nous leurrons pas, les agro ressources sont dénuées d’intérêt
si les cinq facteurs fondamentaux sont bafoués. Seule une prise en
compte sans concession du sol, du climat, de la biodiversité, des
semences et des hommes peut donner son intérêt à l’or vert, et nous
n’en prenons pas le chemin.
Auteur : Pascal Dacheux, éleveur-agriculteur bio, Vice-Président (« les
Verts ») de la région Picardie, en charge de l’environnement et de
l’agriculture.
Source Economie, Energie, Environnement