PS : la guerre des deux gauches
François Bayrou peut sourire : voilà que sa percée provoque au Parti
socialiste plus qu'une divergence d'appréciation, un véritable
affrontement, une guerre des deux gauches que les socialistes ont
cherché jusqu'ici à étouffer. S'ouvrir ou se fermer au centre, s'allier
ou le combattre, ce n'est pas seulement une question tactique qui
pourrait souffrir une répartition des rôles habile, telle qu'imaginée
par le fabiusien Claude Bartolone : aux gardiens du temple les
marqueurs de gauche, le discours de premier tour qui vise à rassembler
son camp, aux autres, aux éclaireurs et francs-tireurs le soin de
préparer un rassemblement plus large pour le second tour ; Ségolène
Royal réalisant à elle seule la synthèse entre ces deux positions. Ca,
c'est la version rose pour bibliothèque du même nom.
En réalité, le conflit fait rage entre
d'un côté Laurent Fabius, l'intransigeant, qui renvoie le centre à
droite et de l'autre Dominique Strauss-Kahn, l'accommodant, qui appelle
ce même centre à rompre davantage avec sa famille d'origine pour
rejoindre la gauche moderne. Ces deux-là poursuivent une querelle
radicale. L'ancien Premier ministre de François Mitterrand en tient et
n'en démord pas pour une ligne classique qui ne souffrirait aucune
entorse ; la ligne de gauche, claire, radicale, sociale qui se traduit
par des alliances à gauche toute forcément. Les centristes ne peuvent
être dans cette perspective que des supplétifs, des harkis forcés de se
rallier par morceau, sans même qu'on ait à les payer ou contraints de
rester dans leur camp, la droite. Les démocrates-chrétiens n'étant « ni
à gauche ni à gauche », comme le disait Mitterrand, il ne faudrait pas
compter un instant sur eux mais les dépecer, à partir d'une position de
force, celle de l'union de la gauche telle qu'en elle-même l'histoire
l'a forgée. Mais il ne faut surtout pas leur laisser d'espace ni
d'espoir, ce que ferait Dominique Strauss-Kahn tant par sa démarche
sociale-démocrate que par ses ouvertures à un centriste évolué, ce qui
serait une contradiction dans les termes. Le Bayrou serait une espèce
de diplodocus figé dans les glaces de l'éternité et ceux qui
s'aventureraient à le décongeler s'exposeraient à perdre plus que leur
âme, les élections.
Car ces inconséquents jetteraient en
effet le trouble dans le camp du progrès déjà passablement désorienté
par les échecs de la gauche au pouvoir et la crainte de nouvelles
compromissions à venir. Inutile de vous dire que du côté de
Strauss-Kahn on pense au contraire qu'il n'est de salut que dans
l'ouverture et la modernité, dans l'imagination qu'il faut investir à
repenser le rapport au marché, à la répartition et à la production des
richesses, ainsi qu'à la justice sociale. En se redéfinissant, en se
refondant comme l'ont fait ses homologues européens, les socialistes
français doivent évidemment revoir leurs alliances. Car les comptes
sont vite faits : les gauches toutes confondues n'arrivent pas à plus
de 38 %, tout mouillé ! Il faut donc en passer par le centre et sans
cette révolution c'est le centre qui passera par la gauche et plumera
demain la volaille socialiste. Déjà les électeurs et les sympathisants
sans attendre font mouvement vers Bayrou au nom de ce même vote utile
qui avait fait les beaux jours de Ségolène Royal dans la course à
l'investiture du PS.
Comment éviter demain non seulement
d'assurer le succès du candidat du centre contraint et forcé au nom du
front unique contre l'ennemi Sarkozy ? Et comment, si cela arrivait, et
les sondages montrent que cette éventualité peut désormais se produire,
comment donc ne pas aller gouverner avec lui ? En cas de refus, une
forte partie des électeurs ne comprendrait pas ce sectarisme et le
sanctionnerait. Mais si les dirigeants socialistes participaient à ce
gouvernement d'union nationale, une forte fraction du PS s'y opposerait
ainsi que les communistes et les Verts et l'extrême gauche évidemment.
Mais pour les partisans de Strauss-Kahn c'est justement parce que la
gauche refuse de se rénover qu'elle se retrouve aujourd'hui devant ce
risque mortel. Et ces sociaux-démocrates modernistes comme les
archaïques, mais pour des raisons différentes, mettent en cause
Ségolène Royal, incapable selon eux de choisir une direction et de
l'imposer.
La candidate socialiste est pour les
uns comme pour les autres transparente, inconsistante, inexistante. On
comprend que devant ces critiques, face à ces désaccords qui
s'expriment de plus en plus ouvertement, Ségolène Royal ait laissé
échapper son mécontentement rageur contre ces éléphants qui la
piétinent, contre ces dirigeants socialistes qui ont été « incapables
de faire bloc autour d'elle ». Et l'on songe à ce que Fabius avait
laissé échapper un jour : « la confiance entre nous n'existe plus ».
Aujourd'hui c'est encore pire, c'est la défiance qui prévaut !