Greenpeace épingle les constructeurs informatiques
Depuis
août dernier, Greenpeace distribue les bons et les mauvais points aux
acteurs de l'informatique, forçant les plus grands à se justifier sur
leur politique environnementale. En France, le silence est de mise, et
l'on se retranche confortablement derrière la couverture collective de
la directive DEEE. Une attitude que dénonce Greenpeace.
On adore Apple. La marque à la pomme crée des ordinateurs au design
épuré. Mais, à l'intérieur, c'est autre chose. Mac, iPod, iBook... tous
les produits Apple recèlent des substances chimiques (phtalates, plomb,
mercure, etc.) que d'autres constructeurs sont en train d'abandonner
parce qu'elles sont dangereuses. Et, en fin de vie, ordinateurs,
lecteurs MP3, téléphones mobiles échouent dans des pays en voie de
développement où des travailleurs pauvres les recyclent, les désossent
et s'intoxiquent. À la pointe du progrès technologique, Apple refuse
d'utiliser des substances alternatives moins dangereuses pour la santé
dans la fabrication de ses produits. La pomme reste empoisonnée. » Qui
s'en prend de façon si véhémente à une marque pourtant réputée « très
cool »? Greenpeace, soi-même !
Une pétition adressée à Steve Jobs a même été mise en ligne
(http://www. greenmyapple.fr) pour faire passer le message. C'est en
août 2006 que l'organisation écologique a secoué pour la première fois
le landernau de l'informatique et des télécoms en publiant un
classement des entreprises « écoresponsables ». Un deuxième classement
est paru en décembre et un troisième devrait sortir sous peu, le temps
d'affiner quelques points. « Nous essayons de créer une compétition
positive entre les marques. L'idée, c'est qu'il existe une marge de
manoeuvre pour éliminer un certain nombre de substances », explique
Yannick Vicaire, le responsable de la campagne « Toxiques » chez
Greenpeace France.
La mauvaise note d'Apple, classé quatorzième au hit-parade de la fin
2006, a forcé la société de Steve Jobs à réagir officiellement. « Nous
exprimons notre désaccord avec la notation de Greenpeace et les
critères qu'il a choisis. Depuis longtemps, nous avons pris des mesures
en faveur de l'environnement, en restreignant ou en bannissant des
substances toxiques comme le mercure, le cadmium, etc., souligne-t-on
chez Apple. Nous avons totalement éliminé les moniteurs à tube
cathodique, qui contiennent du plomb, de notre ligne de produits. Dans
le système de notation Epeat, de l'Agence américaine de
l'environnement, nous sommes parmi les mieux classés. » D'où vient une
telle disparité de jugements ? C'est que Greenpeace examine le
comportement des entreprises à l'échelle mondiale, explique Yannick
Vicaire. « Apple a fait des choses bien aux États-Unis, qu'elle refuse
d'importer en Europe », ajoute-il.
Peu d'informations sur la France
Dans les deux premiers classements publiés, c'est Nokia qui occupe le
haut du podium. Pour celui de la fin 2006, les bons élèves sont Dell,
numéro deux, suivi de Fujitsu Siemens, en progression de sept places,
et de Motorola, qui fait une remontée spectaculaire puisqu'il était
dernier du classement précédent. En revanche HP, classé sixième, perd
trois places, Samsung, douzième, rétrograde de sept positions et
Toshiba de trois, tandis que Apple, bon dernier, ferme le ban.
Contestable ou pas, l'initiative engagée par Greenpeace a au moins le
mérite de susciter une saine compétition en matière
d'écoresponsabilité. « De fait, l'objectif d'une telle campagne est de
peser sur l'écoconception et le mode de commercialisation des produits
électroniques », confirme Yannick Vicaire.
Qu'en est-il en France ? Qui sont les bons et les mauvais élèves en
matière d'environnement ? À la fin décembre 2005, le fondeur
franco-italien SMT-Electronics a été distingué par le Climate Group
comme étant l'une des dix meilleures entreprises de la décennie pour
avoir réduit ses émissions de CO2 de moitié. Y a-t-il des sociétés
émérites et d'autres qui le seraient moins ? Par ailleurs, a-t-on
mesuré les effets sur l'environnement de la logistique, le matériel
vendu en France venant la plupart du temps d'un autre pays d'Europe
d'Asie ? Concernant la France, Greenpeace annonce « avoir achevé une
grande tournée et entamé une phase de dialogue constructif avec les
principaux acteurs de l'électronique ».
Pour autant, l'association se garde bien de citer de bons ou de mauvais
élèves. « Nous n'avons pas d'informations particulières sur le marché
français », admet Zeina Alhajj, porte-parole de Greenpeace. De leur
côté, les associations de défense de l'environnement expriment
unanimement leur inquiétude sur le sujet des produits informatiques. La
situation est d'autant plus sombre que cinq pays, France,
Grande-Bretagne, Italie, Espagne et Allemagne, produisent 80 % des
déchets électroniques européens.
Il reste que la plupart des associations ne disposent pas de cellules
spécialisées sur le thème de l'informatique. Et, quand c'est le cas,
elles sont bien en mal de fournir des informations précises. Ainsi
Sarah Martin, en charge des déchets d'équipements électroniques à
l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe),
indique que cet organisme gouvernemental « n'a pas de suivi de ce qui
se fait localement en matière d'écoconception ». Mesurer l'impact de la
pollution liée au transport des matériels depuis d'autres pays est une
question jugée trop spécifique pour qu'il soit possible de fournir une
étude détaillée. « Nous faisons la promotion d'une pratique qui
s'appelle l'écoconception afin que soient mis sur le marché des
produits recyclables », indique toutefois Myriam Puaut, ingénieur en
écoconception à l'Ademe. Et de mentionner des labels environnementaux
dont son organisme fait la « promotion générique », comme Energy Star,
TCO ou EPD, sans plus de détails. « À cette fin, nous sommes en
relations avec Codde (Conception Développement Durable et
Environnement), qui a mis au point un logiciel destiné à faciliter le
bilan environnemental de ce type de produits » , reprend Myriam Puaut.
Un porte-parole du Codde précise à ce propos: « Nous diffusons cet
outil à des entreprises, et ces études restent confidentielles tant au
niveau des produits qu'en ce qui concerne les fabricants. »
Quant aux constructeurs et aux importateurs, il est vain de leur
demander de s'exprimer sur le sujet. Seul Maxdata a bien voulu dévoiler
par la voix d'Anke Boegolz, responsable logistique France de la
société, que « le coût du transport à partir d'Aix-la-Chapelle varie de
1 % à 3 % du prix du matériel, selon la quantité commandée par le
client ». À quoi une porte-parole du fabricant ajoute : « Au niveau du
groupe, nous sommes proches de la protection de l'environnement, mais
nous n'avons pas de visibilité au niveau du transporteur. »
Pour sa part Ehlers Gerriet, qui est chargé de superviser la logistique
de Fujitsu Siemens à partir d'Augsburg, en Allemagne, s'exprime
franchement. « Nous ne répondrons pas en détail à vos questions car
elles sont critiques pour ce qui est du marché et de nos compétiteurs. »
Même silence poli mais ferme du côté de constructeurs comme Packard Bell, filiale de Nec, qui a pourtant fermé son usine de production d'Angers, début 2005, pour sous-traiter sa production en République tchèque et en Chine. Idem chez les grossistes, qui font tous la sourde oreille. C'est ainsi : la fameuse directive DEEE a pour conséquence de noyer le poisson (lire encadré). Si l'on en croit Greenpeace, la France n'aurait pas appliqué comme il se devait les directives européennes. L'association, épaulée en cela par diverses ONG, s'emploie actuellement à faire rectifier le tir.
Une responsabilité individualisée
De ce panorama, il ressort clairement que l'informatique a encore bien du chemin à parcourir avant de se montrer réellement écoresponsable au niveau mondial. Un rapport de Greenpeace, publié l'an passé, montre des visuels qui en disent long sur la face cachée de la high tech. On y voit un jeune garçon chinois les pieds baignant dans le lit d'une rivière contaminée par les déchets électroniques d'une usine de circuits imprimés de la province de Guandong, tandis qu'en Thaïlande les eaux usées de l'usine de Bangpa-In s'écoulent directement dans le canal des eaux publiques.
Or, explique Yannick Vicaire, ce qui complique beaucoup le suivi en matière d'informatique, c'est que « le monde de l'électronique est à l'image de celui de l'automobile, avec l'assemblage d'éléments venant d'un peu partout ». Et de dénoncer « des conditions d'extraction de la silice au Brésil qui rappellent celles du charbon autrefois »... Quel pourrait être à terme le modèle à suivre dans cette industrie où la prise de conscience écologique demeure récente et parfois opportuniste ? Yannick Vicaire serait enclin à le chercher auprès du secteur de la photocopie : « Xerox a donné l'exemple il y a déjà dix ans. Il a fait en sorte que les entreprises soient des locataires de produits qu'elles prennent en charge du début jusqu'à la fin de leur cycle de vie. C'est dans cette direction qu'il faut aller », soutient-il.
Daniel Ichbiah source