Le festival des bourdes
Source: Catherine Pégard - © Le Point
A droite comme à gauche, les bourdes, les excès et les approximations enfièvrent la fin de la campagne. Mais Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal les ignorent. Ils avancent.
« Si moi je m'étais permis de dire des énormités pareilles... »
a soupiré Ségolène Royal quand elle a découvert que Nicolas Sarkozy, dans son récent entretien avec Michel Onfray paru dans
Philosophie Magazine
, confiait qu'
« il inclinait à penser qu'on naît pédophile ».
Une bourde ? Pas vraiment : l'expression raisonnée de ses convictions
« néoconservatrices »,
comme disent ses adversaires, renforcées au ministère de l'Intérieur
par la connaissance de crimes monstrueux devant lesquels la raison,
comme le lui a crié la douleur de dizaines de familles, reste
impuissante : « La part de l'inné est immense », affirme le candidat de
l'UMP, donnant prise à un nouveau débat sur l'eugénisme dont se sont
aussitôt inquiétés les scientifiques et aussi l'archevêque de Paris,
Mgr Vingt-Trois, qui a critiqué cette idée d'une « éventuelle prédétermination génétique »
des pédophiles, mais aussi des jeunes qui se suicident, agitée aussi par Nicolas Sarkozy.
Interrogée sur l'enlèvement de deux Français par les talibans dans le
sud de l'Afghanistan, Ségolène Royal le condamne fermement avant
d'ajouter : « C'est aussi le régime des talibans qui doit faire l'objet de pressions internationales, notamment au Conseil de sécurité. »
Or le
« régime des talibans »
est tombé en décembre 2001. On imagine Nicolas Sarkozy levant les yeux
au ciel comme chaque fois qu'on lui parle des incursions de Ségolène
Royal en terre étrangère : « Ah, si c'était moi qui disais de telles bêtises... »
Chacune dans son genre, ces deux « sorties » illustrent les
interrogations récurrentes sur les deux favoris de l'élection
présidentielle, résumées dans le bonheur d'une formule par François
Bayrou : « Chacun porte une inquiétude : Sarkozy parce qu'on sait où il va. Royal parce qu'on ne le sait pas. »
Encore
n'est-ce pas tout à fait vrai. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal savent
parfaitement où ils vont. Ils y vont tout droit avec une égale
détermination. Les bourdes, les approximations, les excès, tout cela
fait partie de la campagne. Ils le pensent l'un et l'autre et, pour le
reste, ils encaissent. L'un et l'autre ont théorisé leurs fragilités et
ont fait de la transgression la marque de leur liberté.
Quand le journaliste lui fait remarquer que les talibans ne sont plus
au pouvoir à Kaboul, Ségolène Royal ne se laisse pas démonter. Elle ne
s'interrompt même pas. On pense à Jacques Chirac qui naguère confiait :
« On ne s'intéresse à ce que je dis sur la politique internationale que lorsque je dis une connerie !
» C'est Jean-Pierre Chevènement, l'un de ceux qu'elle écoute le plus aujourd'hui, qui le dit :
« Je n'ai jamais vu une femme aussi résistante. Elle donne le spectacle d'un calme absolument olympien. »
Tous sont agacés par ce caractère que rien ne semble pouvoir ébranler,
même s'il ne suffit pas à lever leurs inquiétudes sur la crédibilité de
leur candidate. L'épisode du contrat première chance (lire encadré) a une nouvelle fois troublé ses amis
socialistes, qui savent, depuis l'échec d'Edouard Balladur avec le CIP
et celui de Dominique de Villepin avec le CPE, que les contrats
d'embauche spécifiques pour les jeunes sont de la dynamite, et d'abord
dans leur électorat. « Cette mesure phare de la fin de la campagne », selon
Jean-Louis Bianco, les a laissés atterrés, pendant qu'à l'UMP on lui
trouve d'étranges similitudes avec le contrat jeunes en entreprise
concocté en 2002 par François Fillon et qui avait déclenché un tollé à
gauche. Tandis que son entourage peinait à expliquer « la philosophie de la chose »,
comme elle dit, Ségolène Royal commentait, excédée :
« La voix est tracée, elle sera tenue. »
Comme Nicolas Sarkozy, quand elle provoque le débat, Ségolène Royal ne
recule pas. Tous deux s'entêtent avec jubilation et courage. Le
candidat de l'UMP assume ses propos sur la pédophilie comme hier il se
justifiait d'avoir lancé l'idée d'un « ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale »
en affirmant :
« C'est peut-être ce jour-là que j'ai gagné l'élection
.
»
Alors que Ségolène Royal n'hésite pas à heurter son électorat
traditionnel en pariant qu'il a plus évolué que les éléphants du PS,
Nicolas Sarkozy prend, lui, le parti absolu de la droite, de la droite
tout entière : « Il fait sauter les tabous peu à peu imposés par Jean-Marie
Le Pen de façon illégitime. Quelle fatalité y a-t-il à ce qu'on ne
retrouve pas ceux qui votaient pour de Gaulle ou pour Pompidou et qui
nous ont quittés ? » s'interrogeait Dominique Perben, jeudi
dernier, après le meeting de Lyon où Nicolas Sarkozy avait consacré son
discours à la nation.
Depuis le début, Nicolas Sarkozy est hanté par la « faute » de Lionel Jospin en 2002, qui, favori de la course, ne s'est pas
« rassemblé »
sur l'obstacle, allant jusqu'à affirmer que son programme n'était pas
socialiste. Ses conseillers ont bien lu l'enquête qu'a réalisée
l'institut Ipsos pour Le Point
, selon le même questionnaire qu'il avait concocté en 2002. Seul leur sentiment d'insécurité a très nettement diminué.
« Ce n'est pas Nicolas Sarkozy qui se radicalise, ce sont les Français. Et massivement »,
plaide Henri Guaino.
A la différence de sa rivale, le candidat de l'UMP pense qu'il est trop tard à moins de deux semaines du premier tour pour jeter de nouvelles idées dans le feu du débat, pour contrarier sa base. « Ségolène Royal désarçonne les Français par son style invraisemblable et ses contre-pieds permanents. Nicolas Sarkozy est concentré sur les questions qui les préoccupent : travail, pouvoir d'achat, immigration, sécurité », souligne-t-on au QG du candidat de l'UMP. « Le premier tour, c'est blanc ou noir, affirme prosaïquement un de ses collaborateurs. Le second donne un grand coup d'éponge. Tout recommence. »
Dernière ligne droite
Mardi matin, il s'agissait de préparer la dernière ligne droite avant
le 21 avril. Tous ont noté que Nicolas Sarkozy était entré délibérément
dans un registre binaire sans qu'on puisse l'encombrer de nuances. Ce
n'est qu'une concession exaspérée quand il confesse : « On me dit que je fais peur. » Le candidat de l'UMP, qui,
en se plaçant constamment au centre du débat, a tout fait pour que
l'élection présidentielle devienne un référendum pour ou contre lui,
sait bien que c'est là sa principale faiblesse, que son meilleur ennemi
c'est lui-même, comme l'ont rappelé à l'envi les chiraquiens. Mais il
n'est pas plus question de le lui dire que de dire à Ségolène Royal
qu'elle est floue ou imprécise. « Nulle ou pas, elle tient »,
s'exclame une de ses amies.
« On n'apporte plus grand-chose à Nicolas »,
confie un de ses proches, désabusé. L'autre jour, il a enregistré d'un
trait les clips de la campagne officielle, sans un regard sur les
fiches qu'on lui avait préparées. Ségolène Royal, elle, bouscule ses
emplois du temps, ici quand on l'attend ailleurs, parce qu'il faut
bien, dit-elle, que « les militants consentent de
petits sacrifices »,
envoyant Jean-Pierre Chevènement à sa place à Europe 1, mardi matin,
comme elle a annulé plusieurs rendez-vous avec les journalistes parce
qu'elle considère que ce sont eux qui la suivent et pas le contraire.
Parce que c'est comme ça.
Leurs excès, leurs maladresses, Ségolène Royal
et Nicolas Sarkozy sont sûrs qu'on les aura oubliés au soir du 21
avril. Ils veulent voir tous les deux dans les attaques dont ils sont
l'objet le signe de leur force. Ce n'est pas seulement pour un bon mot
que Ségolène Royal a commenté la proposition de François Bayrou de
supprimer l'Ena - une drôle d'idée quand tant d'énarques sont séduits
par lui : « Je ne sais si, en disant ça, il voulait me supprimer moi-même,
a noté la candidate socialiste
. C'est trop tard. »
Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy voudraient tant se retrouver pour le dernier combat. Alors, il sera temps de parler d'amour aux Français. Ségolène Royal a fait le pari qu'ils l'aimeraient pour ce qu'elle est. Et Nicolas Sarkozy pour ce qu'il fait